Arts et lettres "À CHAQUE JOUR SON POÈME" (Guy Rouquet)



"À CHAQUE JOUR SON POÈME" (Guy Rouquet)

<p align="center"><strong><font face="times new roman,times,serif" size="4">de Guy ROUQUET</font></strong></p>

<p align="justify"><font face="times new roman,times,serif" color="#990000" size="3"><strong>La po&eacute;sie n&apos;appartient pas qu&apos;&agrave; ceux qui l&apos;&eacute;crivent. Sa <em>mise en lumi&egrave;re</em> rel&egrave;ve de tous. Elle est trop <em>essentiell</em>e &agrave; notre &eacute;quilibre individuel et collectif pour ne pas lui rendre, chacun &agrave; sa fa&ccedil;on, ce que nous lui devons. Cette restitution est magique. Qui y consent re&ccedil;oit davantage encore.</strong></font></p><p align="justify"><font face="times new roman,times,serif" color="#990000" size="3"><strong>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; La po&eacute;sie m&apos;habitait avant m&ecirc;me que je ne la d&eacute;couvre. Est-ce la cela &ecirc;tre <em>b&eacute;ni des dieux</em>&nbsp;? Oui, si l&apos;on s&apos;en r&eacute;f&egrave;re &agrave; un certain vocabulaire, aux confessions et confidences de la plupart des po&egrave;tes d&apos;hier comme d&apos;aujourd&apos;hui. Il arrive que les mots changent, mais les id&eacute;es demeurent&nbsp;: on na&icirc;t po&egrave;te&nbsp;; on le devient parfois, &agrave; force d&apos;&eacute;nergie, &agrave; grand renfort de silence et de solitude.<br />&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </strong></font><strong><font size="3"><font color="#990000"><font face="times new roman,times,serif">Si chance il y a, elle est douloureuse. La po&eacute;sie habille de cha&icirc;nes bien lourdes &agrave; porter ceux qu&apos;elle inspire pour qu&apos;ils inspirent &agrave; leur tout. Quel poids sur le corps et sur le c&oelig;ur&nbsp;! Et cette route qui n&apos;en finit pas&hellip; Mais ces cha&icirc;nes sont dor&eacute;es. Rien n&apos;oblige &agrave; les porter. Ce ne sont pas celles de la tyrannie. Il est toujours possible d&apos;y renoncer, de les abandonner, f&ucirc;t-ce pour en mourir. Non pas foudroy&eacute; sous les balles mais de mort lente, les yeux &eacute;teints, l&apos;esprit et mes mains vides. Il n&apos;est besoin que de regarder autour de soi pour s&apos;en rendre compte. Combien sont-ils &agrave; &laquo;&nbsp;dormir leur vie&nbsp;&raquo;&nbsp;? Combien n&apos;ont jamais su ou ont oubli&eacute;&nbsp;? Le si&egrave;cle n&apos;est pas fait pour les po&egrave;tes, dit-on. Le divorce entre la po&eacute;sie et la soci&eacute;t&eacute; est profond. N&apos;en a-t-il pas &eacute;t&eacute; toujours ainsi cependant&nbsp;? <br />&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </font><font face="times new roman,times,serif">Cette rupture est un fait. Elle n&apos;est pas toujours innocente. Platon voulait exclure les po&egrave;tes de la Cit&eacute;. Certains z&eacute;lateurs s&apos;y sont employ&eacute;s, avec succ&egrave;s quelquefois. Que d&apos;esp&eacute;rances bris&eacute;es&nbsp;! Plus que d&apos;autres, les po&egrave;tes ont pay&eacute; un lourd tribut &agrave; l&apos;av&egrave;nement de certaines formes de soci&eacute;t&eacute;s jug&eacute;es id&eacute;ales. Trop de lucidit&eacute;, un sens inn&eacute; de la libert&eacute;, une sensibilit&eacute; &agrave; fleur de peau, voil&agrave; qui est incompatible avec l&apos;ordre &eacute;tabli, qu&apos;il soit nouveau ou s&eacute;culaire.</font></font></font></strong></p><p align="justify"><strong><font size="3"><font color="#990000"><font face="times new roman,times,serif">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Les po&egrave;tes ne sont pas toujours assassin&eacute;s ou b&acirc;illonn&eacute;s. Il est des &eacute;poques ou des pays qui &eacute;chappent pour un temps &agrave; l&apos;hyst&eacute;rie et au fanatisme. La censure politique n&apos;est pas la panac&eacute;e. Elle est trop voyante. Plus subtiles, les censures &eacute;conomique et m&eacute;diatique qui privent les po&egrave;tes de moyens d&apos;expression sous pr&eacute;texte de faire perdre de l&apos;argent ou de l&apos;audience &agrave; qui ose s&apos;y int&eacute;resser. La quasi-totalit&eacute; des &eacute;diteurs se refusent &agrave; publier le poindre recueil de po&egrave;mes, &agrave; l&apos;examiner m&ecirc;me. A de rares exceptions pr&egrave;s, les r&eacute;dacteurs en chef et les directeurs de programmes disent manquer de temps et de place pour ouvrir une rubrique consacr&eacute;e &agrave; la po&eacute;sie. Sit&ocirc;t entrouvertes, les portes se referment. Il arrive qu&apos;elles claquent comme des gifles, et m&ecirc;mes comme des coups de r&eacute;volver&hellip;<br />&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </font><font face="times new roman,times,serif">Le malentendu entre la soci&eacute;t&eacute; et la po&eacute;sie semble s&apos;accentuer. Pour les uns, les po&egrave;tes ne sont que de doux r&ecirc;veurs et les temps n&apos;ont jamais &eacute;t&eacute; aussi durs&nbsp;; pour les autres, la po&eacute;sie est un aimable divertissement qui a eu bien tort de rompre avec les r&egrave;gles de la versification&nbsp;; pour d&apos;autres enfin,&nbsp; la po&eacute;sie contemporaine est trop compliqu&eacute;e, voire illisible.</font></font></font></strong></p><p align="justify"><font face="times new roman,times,serif" color="#990000" size="3"><strong>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Moi qui suis entr&eacute; en po&eacute;sie &agrave; la lecture de Mallarm&eacute; voici qu&apos;il m&apos;arrive de lui en&nbsp; vouloir d&apos;avoir pr&eacute;conis&eacute; l&apos;herm&eacute;tisme comme r&egrave;gle de conduite, de contraindre &agrave; trop d&apos;efforts celui qui d&eacute;sire p&eacute;n&eacute;trer dans l&apos;univers du po&egrave;te pour y d&eacute;loger des merveilles. Comme il n&apos;est de ma&icirc;tre sans disciples, Mallarm&eacute; eut les siens qui, &agrave; leur tour, eurent les leurs. D&apos;aucuns se crurent oblig&eacute;s &agrave; surench&eacute;rir, oubliant que l&apos;herm&eacute;tisme n&apos;est pas une fin, en soi mais une &eacute;tape sur le chemin du plaisir, l&apos;art subtil d&apos;offrir un fruit, de susciter une curiosit&eacute;, d&apos;exciter la gourmandise. Trop de jeunes po&egrave;tes versent dans l&apos;herm&eacute;tisme pour l&apos;herm&eacute;tisme. Certains croient qu&apos;en ne comprenant pas ce qu&apos;ils &eacute;crivant ils touchent au g&eacute;nie ou au sublime. Toutes ces coques vides ont d&eacute;courag&eacute; bien des bonnes volont&eacute;s. <br />&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </strong></font><strong><font size="3"><font color="#990000"><font face="times new roman,times,serif">Le m&eacute;rite de Mallarm&eacute; n&apos;est pas en cause pour autant. Sa <em>qu&ecirc;te</em> a ouvert des voies multiples, f&eacute;condes pour la plupart. Que de po&egrave;tes lui sont redevables du meilleur d&apos;eux-m&ecirc;mes&nbsp;! C&apos;est cela qui compte. Le reste est une affaire de temps. Il s&apos;agit de susciter ou de r&eacute;unir les conditions qui permettront &agrave; la soci&eacute;t&eacute; tout enti&egrave;re de se hisser un jour au niveau des plus grands, des plus exigeants. Entre-temps, de nouveaux d&eacute;couvreurs auront foul&eacute; d&apos;autres sommets, sond&eacute; d&apos;autres ab&icirc;mes, nous conviant &agrave; les rejoindre.<br />&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </font><font face="times new roman,times,serif">Le sacrifice des pionniers n&apos;est jamais inutile. Il annonce l&apos;avenir. N&apos;est-il pas significatif de constater que Rimbaud le rebelle, le solitaire par excellence, l&apos;homme de tous les d&eacute;r&egrave;glements, a engendr&eacute; une famille spirituelle particuli&egrave;rement nombreuse et avertie&nbsp;? Ne serait-il pas &eacute;tonn&eacute; cependant de faire l&apos;objet de tant de th&egrave;ses savantes, d&apos;&ecirc;tre devenu le compagnon de songes d&apos;une multitude de lecteurs gr&acirc;ce &agrave; des &eacute;ditions de poche partout disponibles&nbsp;? Que dirait-il s&apos;il pouvait revenir&nbsp;? Son m&eacute;pris peut-&ecirc;tre, sa r&eacute;volte sans doute. Et il s&apos;en irait sur-le-champ afin de nous lester d&apos;interrogations nouvelles.</font></font></font></strong></p><p align="justify"><font face="times new roman,times,serif" color="#990000" size="3"><strong>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; L&apos;examen de plusieurs milliers de manuscrits et de nombreuses r&eacute;flexions recueillies lors de rencontres diverses m&apos;ont appris que la grande r&eacute;volution du si&egrave;cle invitant &agrave; ne pas confondre po&eacute;sie et versification n&apos;a toujours pas &eacute;t&eacute; assimil&eacute;e par le corps social. D&apos;aucuns, f&eacute;rus de lettres, exer&ccedil;ant des responsabilit&eacute;s effectives dans certains secteurs culturels, scolaires ou parascolaires continuent &agrave; v&eacute;hiculer cette id&eacute;e on ne peut plus pernicieuse que la rime fait le vers, et le vers le po&egrave;te. D&apos;autres, il est vrai, semblent croire qu&apos;il suffit de supprimer la ponctuation ou d&apos;&eacute;parpiller des mots sur une page pour faire preuve de modernit&eacute;. Mallarm&eacute; et Apollinaire sont grands mais Val&eacute;ry tout autant. Par del&agrave; leur talent, qui est immense, c&apos;est leur <em>authenticit&eacute;</em> qui les caract&eacute;rise. Ils sont devenus ce qu&apos;ils &eacute;taient. On peut aimer chacun d&apos;eux d&apos;une passion &eacute;gale. De quels &eacute;blouissements ne leur suis-je pas reconnaissant&nbsp;?&nbsp; En tout cas, puisqu&apos;il faut dire les choses plus, pr&eacute;cis&eacute;ment encore, ils m&apos;ont appris, &agrave; l&apos;&acirc;ge o&ugrave; les influences sont d&eacute;cisives et o&ugrave; la vie semble illimit&eacute;e, la richesse infinie de l&apos;homme et du monde, un certain sens de l&apos;honneur et du bonheur, une mani&egrave;re d&apos;apprivoiser la beaut&eacute; et la bont&eacute;. Ce n&apos;est pas rien. </strong></font></p><p align="justify"><font face="times new roman,times,serif" color="#990000" size="3"><strong>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; Non, la po&eacute;sie n&apos;est pas une &eacute;cole de facilit&eacute;. Elle est d&apos;abord une discipline de vie &agrave; laquelle on peut chercher &agrave; s&apos;astreindre sans produire soi-m&ecirc;me. Elle r&eacute;clame une pratique quotidienne de la part des cr&eacute;ateurs comme des lecteurs. &laquo;&nbsp;A chaque jour son po&egrave;me&nbsp;&raquo; devrait &ecirc;tre l&apos;ambition commune. Et, disant cela, je songe &agrave; ces journaux d&apos;Am&eacute;rique latine qui publient en guise d&apos;&eacute;ditorial un po&egrave;me, &agrave; ces amateurs qui commencent leur journ&eacute;e en se d&eacute;lectant du texte qu&apos;un recueil ouvert au petit bonheur la chance vient de leur offrir, qui lisent en buvant un verre d&apos;eau, qui comparent les transparences&hellip; &laquo;&nbsp;La po&eacute;sie est l&apos;hygi&egrave;ne de l&apos;&acirc;me&nbsp;&raquo; disait Cocteau. Le mot m&eacute;rite d&apos;&ecirc;tre retenu. </strong></font></p><p align="justify"><font face="times new roman,times,serif" color="#990000" size="3"><strong>L&apos;Atelier Imaginaire est un espace de libert&eacute; o&ugrave;, rassembl&eacute;s autour du <em>feu sacr&eacute;</em>, des po&egrave;tes venus de tous les horizons font converger leurs r&ecirc;ves et leurs forces pour &eacute;clairer notre nuit et nous enrichir de leurs diff&eacute;rences. En rendre la flamme plus chaleureuse et fraternelle d&eacute;pend de chacun. </strong></font></p><p align="justify"><font size="2"><font color="#0000ff"><font face="times new roman,times,serif"><strong>*&nbsp;Ce texte, publi&eacute; pour l&apos;essentiel dans l&apos;avant-propos de &nbsp;<em>L&apos;Atelier Imaginaire, Po&egrave;mes et r&eacute;flexions</em>, a &eacute;t&eacute; relu pour sa mise en ligne sur le site de l&apos;association le 1<sup>er</sup> mai 2012.<br />&nbsp;&nbsp;</strong></font><font face="times new roman,times,serif"><strong>Édit&eacute;e par <em>l&apos;&Acirc;ge d&apos;Homme</em> au mois de mai 1989, l&apos;anthologie r&eacute;unissait, &agrave; l&apos;initiative de l&apos;Atelier Imaginaire,&nbsp; vingt-et-un po&egrave;tes fran&ccedil;ais et &eacute;trangers&nbsp;: Adonis, Michel Baglin, Marie-Claire Bancquart, Ren&eacute;-Guy Cadou, H&eacute;l&egrave;ne Cadou, Andr&eacute;e Chedid, Ren&eacute;-Jean Clot, Max-Pol Fouchet, Michel Garneau, Édouard Glissant, Eug&egrave;ne Guillevic, Yves Heurt&eacute;, Christiane Keller, V&eacute;nus Khoury-Ghata, Charles Le Quintrec, Jean M&eacute;tellus, Pierre Nepveu, Jean Orizet, Pierre Oster Soussouev, Jean-Claude Renard et Andr&eacute; Schmitz.</strong></font></font></font></p>

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