[ INVITÉ S ] - LUIS RIGOU




LUIS RIGOU

LUIS RIGOU

Invité de l'hiver 2000

     LUIS RIGOU Né à Buenos Aires en 1961. Tout en accomplissant de longues études de flûte traversière au Conservatoire National, il apprend, en autodidacte, les flûtes andines et le folklore musical sud-américain. Il obtient très tôt prix et distinctions. Il collabore avec de nombreuses formations musicales et entame alors une carrière professionnelle.

     En 1988 et 1989, il participe à des tournées en Argentine avec le groupe de Jaime Torres. Il se produit dans le monde entier avec le Cuarteto Cedron et avec le groupe Maïz qu'il fonde en 1983. En janvier 1989, il vient vivre en France.

     En 1992, sosu le nom de Diego Modena, il enregistre la célèbre série des Ocarina et obtient 37 disques d'or en Europe, Asie et Amérique du Sud (4 millions de disques vendus). Il est directeur artistique du disque Pont de Mar Blava de Lluis Llach avec Nena Venetsano et Amina.

     En 1994, il crée pour les Francofolies un concert avec Nilda Fernandez. Il enregistre avec Jean Ferrat La complainte de Pablo Neruda. Il compose et interprète des musiques de films dont Karim et Sala et Le voleur d'enfants. En 1996, il est l'arrangeur et le flûtiste du Cantique spirituel, création de Vicente Pradal. La même année, avec Gerardo Di Giusto et Javier Estrella, il fonde le trio Azul.

     En juin 1997, il obtient avec Hélène Artzen, le prix de la Fondation de France au festival de Biarritz. En 1998, il est directeur artistiqiiue du disque Raco de Mon de la Cia. Electrica Dharma. Cette même année, il est à la fois arrangeur et interpète du Llanto por Ignacio Sanchez Mejias de Federico Garcia Lorca, mis en musique par Vicente Pradal.

     En 1999, avec le trio Azul, le grupo azul vocal et le comédien Alain Bauguil, il crée Mermoz, el arcangel, un oratorio dont il a écrit les paroles et les textes.

 

Discographie principale

Cuarteto Cedron : Tango primeur (flûte traversière)
Jean Ferrat : Ferrat 95 (chant) (disque et video)
Maïz : Viajero por la tierra (composition, direction, flûte, chant)
Nilda Fernandez : Nilda Fernandez (flûtes)
Nilda Fernandez : Compiègne (flûtes)
Diego Modena : (ocarina, flûte de pan)
Trio azul : Mermoz, el arcangel (flûtes, chant, paroles et textes).

 


ENTRETIEN

L'Atelier Imaginaire - Vous vivez à Paris. Depuis quand, et pourquoi ? la France est-elle pour vous une terre d'exil ou une nouvelle patrie?

Luis Rigou - En 1989 après avoir accompli une tournée de six mois avec Maïz, mon ancienne formation, aux Etats-Unis, en Suède, Tchécoslovaquie, Italie et Uruguay, j'ai décidé de m'arrêter à Bâle pour compléter mes études de flûte traversière durant tout un semestre. En 1990, après avoir joué avec le Cuarteto Cedron pendant trois ans, je suis venu m'installer à Paris. En pleine activité, entre les deux tournées annuelles de Maïz, les concerts du Cuarteto Cedron en France et de nombreuses collaborations artistiques avec les musiciens que je découvrais à Paris, ce furent trois magnifiques années de créativité.

 
    Très riches en confrontations musicales qui ont beaucoup "modulé" mon esthétique. Paris, fidèle à sa réputation de "terre promise" pour les artistes, a été pour moi a la hauteur de sa réputation. La France est la terre de mon exil, familier, volontaire et rêvé, mais une nouvelle patrie parce que j'ai rejoint ici une partie de mon histoire et parce que c'est ici que j'ai rencontré Hélène.

At. Im. - Hélène Arntzen, la très remarquable saxophoniste de Maïz est aussi votre femme. Quel est son apport créatif à votre musique?

L.R. - C'est une musicienne exceptionnelle, issue de la Royal Academy d'Oslo. La Norvège a produit des artistes d'une rare valeur. Hélène a un jeu de très grande qualité : profond, vibrant, affranchi des tricheries de mauvais goût qui affectent trop souvent notre milieu. Mais au-delà de l'image d'Hélène, visible sur scène comme interprète, mes compositions et ma conception de la musique lui doivent beaucoup.

At. Im. - Vous insistez beaucoup sur la notion de "folklore imaginaire". Qu'entendez-vous par là ?

L. R. - L'expression n'est pas de moi. J'ai emprunté le concept à Bela Bartok. C'est ainsi que j'ai sous-titré mon premier album de Maiz, "folklore imaginaire, Voyageur sur la terre". "Folklore" est un mot qui a mauvaise presse en Europe mais, en Amérique du Sud, nous le prenons au sens étymologique du terme. Folk- lore veut dire "savoir du peuple". C'est donc la musique populaire par excellence. Pour nos très jeunes pays c'est une question d'identité, de savoir qui nous sommes après tous ces massacres et métissages à l'origine de nos cultures. Nous nous devons de bâtir sur nos particularités. "Folklore imaginaire" me convient parfaitement parce qu'il fait cohabiter deux notions, habituellement opposées : tradition et création.

At. Im.- En concert, vous présentez souvent votre musique comme étant à la confluence de trois fleuves. Lesquels?

L.R. - L'Amérique est faite de trois grands "fleuves" culturels et humains : "le fleuve sacré" avec les grandes cultures précolombiennes, "le fleuve de l'histoire" avec les conquistadores et l'influence européenne, et puis "le fleuve de sang", avec l'apport des marchands de souffrance et les esclaves venus d'Afrique noire.

At. Im. - Vous considérez-vous d'abord comme un musicien du monde ou votre cœur est-il avant tout resté en Argentine, en Amérique du Sud, là où se mêlent les eaux de ces trois fleuves culturels ?

L. R. - La musique dite sud-américaine ne fait que refléter avec différents dosages ces trois cultures. J'ai toujours cherché à construire une musique, qu'elle soit arrangement, composition ou chanson, qui soit fidèle à ce brassage. Mon "argentinité" ne signifie pas autre chose.

At. Im. - Vicente Pradal vous a rendu un bel hommage. Depuis quand le connaissez-vous?

L. R. - Pendant six mois, en 1992, lors de ma collaboration avec LLuis LLach comme directeur artistique de son très bel album "Pont de Mar Blava", j'ai souvent fait la navette entre Paris et Barcelone. Un jour Hélène et moi en avons-nous profité pour nous arrêter à Banyults et rendre visite à notre ami Pedro Soler. C'était l'été, un après-midi, et Vicente Pradal avait eu la bonne idée de venir voir son oncle. C'est ainsi que nous avons sympathisé, caressant des projets communs. En 1996, Vicente m'a engagé comme flûtiste et arrangeur pour créer à ses côtés, au sein d'une "équipe d'enfer" composée entre autres de Carmen Linares, Renaud Garcia Fons et Cristo Cortez, Le Cantique spirituel de saint Jean de la Croix, qu'il venait de mettre en musique. En 1998, nous avons poursuivi notre collaboration dans une nouvelle création, le Llanto por Ignacio Sanchez Mejìa, le célèbre poème où Federico Garcia Lorca pleure son ami matador mort encorné "a las cinco en punto de la tarde". Cette fois, Hélène est au saxo. L'expérience s'avère encore plus forte. Les concerts se succèdent à guichets fermés. A la fin de la saison nous dénombrerons plus de soixante représentations. L'une des plus émouvantes a été celle donnée, lors de notre tournée cubaine, au Théâtre Garcia Lorca de La Havane. Ce ne fut pas une surprise pour moi de voir comment, en très peu de temps, le musicien, déjà plein de "duende" et de talent, qu'était Vicente Pradal, s'était épanoui pour devenir l'un des artistes les plus sincères et les plus touchants que je connaisse. Je vous garantis qu'on entendra de plus en plus parler de lui.

At. Im. - Vous êtes Argentin. Pourtant votre patronyme est bien répandu en Béarn. Auriez-vous des ascendants dans cette région?

L.R. - Comme la plupart des Argentins, j'ai des ancêtres européens. L'homme descend du singe, et les Argentins descendent des bateaux dit-on dans mon pays natal. Il y a eu à la fin du siècle dernier un certain René Rigou, né à Pau, au sujet duquel on dispose de quelques informations grâce aux journaux argentins de l'époque. Aventurier, joueur de poker, Don Juan, ce fils de paysans béarnais analphabètes , avait fait le plus gros de sa fortune dans les paquebots de luxe. Il n'a pas atteint les quarante ans. Il est mort à six heures du matin habillé en dandy devant la porte d'un hôtel 5 étoiles de Mar del Plata, une sorte de Saint Tropez argentin, à la suite d'un "accident de chasse". Ce n'est que plusieurs années après que les journaux ont parlé de la vengeance d'un mari déshonoré. 9 femmes et ses descendants ont hérité de sa fortune. C'est une histoire très révélatrice de l'Argentine de ce temps-là. Mon père s'appelle aussi René Rigou mais il dirige l'hôpital de Cancérologie de Buenos Aires et il est aux antipodes de notre joyeux ancêtre.

At. Im. - Et vous ?

L. R. - Je suis d' une autre génération. Plus que le poker ou l'oncologie, mon univers c'est la musique et la poésie. Ma petite Sofia, qui a trois ans, est née en France de père argentin et mère norvégienne. Peut-être relancera-t-elle une nouvelle "branche française" abâtardie par cinq générations d'Argentins mélancoliques et des siècles de dangereux Vikings

At. Im. - Avez-vous retrouvé des gens de votre famille en France?

L. R. - C'est grâce à l'Atelier Imaginaire que j'ai eu l'occasion de rencontrer des "Rigou légitimes", des Rigous demeurés en France. Jean, Josette, Christian et Géraldine Rigou sont venus me rencontrer à Lourdes lors de ma première participation aux Journées magiques. C'était en 1995, et ce fut un grand moment.

At. Im. - Quand on vous connaît, quand on assiste à vos concerts, on a du mal à imaginer que Luis Rigou et Diego Modena, l'artiste d' "Ocarina", l'homme aux 37 disques d'or, soient la même personne. Pourquoi avoir renoncé à la gloire et à la fortune que certains agents et producteurs vous promettaient ? Cela heurtait-il vos convictions, votre sensibilité ?

L. R. - J'ai vécu une aventure étrange et magique commencée en 1992 lors d'une séance d'enregistrement dans un célèbre studio parisien. Paul de Seneville, le producteur, est entré par hasard dans le studio. M'ayant écouté, il m'a proposé d'enregistrer pour lui, dans le studio d'à côté, une chanson. De toutes mes flûtes on a choisi l'ocarina, ce petit œuf troué en terre cuite, et la flûte de pan. Quelques heures plus tard le titre phare "Song of Ocarina" était né. Une grande émotion fit frissoner le studio. Quelques jours après nous nous sommes mis d'accord pour faire l'album sous un nom d'artiste et "Diego Modena" est né. Mon seul souci était de pouvoir continuer ma carrière en tant que Luis Rigou et avec Maiz sans perdre ma liberté. La seule possibilité d'avoir affaire un jour aux médias du show bizz me terrifia. Ce fut donc un drôle de contrat qui résulta de tout ça. Entretemps, comme j'appartenais depuis trois ans au Cuarteto Cedron, je dus partir avec eux à Buenos Aires pour trois concerts au Théâtre Cervantes et à mon retour la musique "Ocarina" retentissait partout. Le titre était devenu le premier des ventes en France. J'ai enchaîné les enregistrements, et ce fut la pluie des disques d'or, platine et même de diamant, chose rarissime. Puis le phénomène s'étendit à d'autres pays d'Europe et peu après il arrivait au "Top 50" dans plusieurs pays d'Amérique, d'Asie, enfin tout ce qui va avec les millions de disques. Un vrai conte de fées. Mais toute gloire a sa rançon. La contrepartie, ce fut l'entrée dans un monde "adulte" où les responsabilités artistiques se mêlent aux enjeux économiques, et cela ne peut pas se faire sans mal. Les hôtels 5 étoiles, les voitures de luxe, l'invasion de la vie privée… Un jeux dangereux, voire très dangereux. parce que illusoire, salle de miroirs qui ne correspondait pas à ce que j'avais cherché. Ce n'était pas le fruit de mes efforts que je voyais, mais plutôt la menace d'un docteur Faust immérité qui me hantait. Très, très vite j'ai choisi d'être deux : "l'un", Luis Rigou, acharné à sa démarche habituelle, et "l'autre", Diego Modena, qui réussissait à tous les coups sans s'étonner et sans se vanter. Je savais pertinemment qu'un événement comme celui que je vivais risquait d'être éphémère. Je ne crois pas avoir renoncé à la gloire et à la fortune. J'ai renoncé plutôt de tout consacrer à mon personnage pour pouvoir rester près de moi-même.

At. Im. - Comme un acteur qui, pour continuer à créer, doit se distancier de ses rôles? L. R. - Exactement. At. Im. - Mermoz, el arcangel, votre dernière création témoigne aussi d'un grand amour du texte, de la poésie…

L. R. - Il s'agit d'un oratorio pour trio, choeur et récitant, que les amis de l'Atelier Imaginaire ont eu l'occasion de découvrir à la Halle-aux-grains de Bagnères-de-Bigorre. Gerardo di Giusto a composé la totalité de la musique et moi l'ensemble des textes. Voilà qui prouve bien que le musicien que je suis peut s'effacer parfois, sans trop de peine, pour tenter l'aventure de l'écriture. El Arcangel est une fiction, qui mêlant l'histoire à la psychologie, raconte la vie de Jean Mermoz et de ses camarades de l'Aéropostale, dont Antoine de Saint- Exupéry. Dans les sacoches des avions disparus, des "lettres perdues" attendent encore leurs lecteurs. Je ne doute pas qu'elle soient d'une grande utilité de lecture. En tout cas, elles me font grandement rêver. Ce spectacle en est l'illustration.