Arts et lettres "JEAN MÉTELLUS, TEL "UN ORGUE GÉNÉREUX" (Guy Rouquet)



"JEAN MÉTELLUS, TEL "UN ORGUE GÉNÉREUX" (Guy Rouquet)


"JEAN MÉTELLUS, TEL "UN ORGUE GÉNÉREUX"

 

Guy ROUQUET

 


Au moment où le monde a le cœur serré en songeant à Haïti si tragiquement éprouvé par les convulsions de l'Histoire et de la Nature, la voix de Jean Métellus vibre « tel un orgue généreux ». Plurielle, essentiellement poétique, utilisant avec bonheur tout le clavier du langage, elle s'exprime dans une œuvre foisonnante où l'amour de la terre natale est inséparable de l'hommage rendu à la grandeur des humbles, de tous ceux qui, « flagellés par l'espoir »,  se lèvent « avant jour », « avec la lune pour complice »,  afin de « semer des graines contre la malice des hommes ». Chemin faisant, « entre les crocs du bien et du mal », elle délivre depuis plus de trente ans un chant universel, dont la mélodie, à la fois douce et tranchante, tumultueuse et cristalline, joyeuse et mélancolique, a suscité dès sa naissance l'étonnement émerveillé d'André Malraux, d'Aimé Césaire, de Maurice Nadeau et de Michel Leiris.

Intitulé « Au pipirite chantant », le premier livre de Jean Métellus  a permis de découvrir une voix singulière, au service des enfants sans pain qui jouent « à cache-cache avec la misère » et ont « soif de grand jour »,  des femmes « sans sexe ni désir », des hommes « sans passé ni aurore », des êtres recrus de fatigue, mais, comme la fontaine, « souriant aux étoiles », étreignant « furieusement la vie » et , secouant « les chaînes tressées par les siècles », se dressent pour dire leur dignité, entonner l'hymne de la liberté et mettre fin aux oppressions de toute sorte.

 En exaltant l'âme du peuple haïtien, Jean Métellus déborde largement le cadre insulaire.  Il donne à voir et à entendre celle de tous les déracinés,  des fils meurtris de l'esclavage, des victimes de la barbarie d'hier et d'aujourd'hui, de l'humanité souffrante mais aussi rebelle, insurgée au nom de la Justice pour instaurer la démocratie et faire en sorte que chaque homme puisse décider de son destin. Il témoigne de ce qu'André Malraux appelait « l'honneur d'être homme ».


     Dans l'histoire des  peuples, cet honneur est souvent incarné par des êtres que les circonstances et une lucidité farouche conduisent à s'élever au-dessus de la condition commune pour tailler dans les ténèbres un chemin d'espoir. A l'image des poètes pour lesquels l'action est sœur du rêve,  ils connaissent la prison, la torture, l'exil, et quelquefois paient de leur vie le simple fait de résister à l'ordre imposé par le dictateur et de faire exister, dans les textes de loi et leur application quotidienne sur le terrain, l'esprit des Droits de l'homme et du citoyen.

En Haïti, ces êtres pétris d'idéal, de courage de ténacité et de sagesse, héritiers du « mystérieux savoir » de 1789,  ont pour noms Toussaint Louverture et Dessalines,  mais aussi Catherine Flon, celle-là même qui, « le cœur tourné vers l'Afrique », « chevauchée par les esprits du très vieux continent », savait « transformer en messages d'espoir les sanglots et les larmes » et, au moment de créer le drapeau national du premier pays noir libre du monde, supprima le blanc du drapeau français pour « coudre ensemble à l'aide de ses cheveux » le bleu et le rouge... 

Visages de femmes, voix nègres, voix rebelles…  Ces expressions sont emblématiques de  l'œuvre de l'écrivain, qui n'a de cesse de demander aux mots « le pouvoir essentiel » : « susciter l'allégresse, éveiller l'ardeur, allumer l'espérance, ouvrir à l'amour, témoigner du mystère de la foi… »  A l'instar de celle de Victor Hugo, la plume de Jean Métellus ne cesse de semer la joie lors même qu'elle exprime la colère et la révolte, car elle puise sa force dans l'énergie vitale qui, jour après jour, conduit les esclaves d'hier, les rudes paysans d'aujourd'hui, les obscurs et les sans grade de tous les pays et de tous les temps,  à « lever le talon contre la nuit » pour marcher, le front couronné de sueur,  « vers les vergers de l'avenir ».

Peuplée de plus de mille personnages répartis dans une cinquantaine de livres et de recueils, où le roman (La famille Vortex)  côtoie le théâtre (Anacaona) , et où la poésie voisine avec l'essai , l'œuvre de Jean Metellus est avant tout celle d'un vates, dont la superbe particularité est d'être tout à la fois inspirée et inspiratrice. Visionnaire, elle met en pleine lumière les rêves traversés d'épouvante des peuples méprisés, dépossédés et outragés, mais qui, vêtus d'innocence et habités de grandes légendes intérieures, connaissent par le cœur et par la raison « les cachotteries de millénaires d'escroqueries » , et se trouvent ainsi, pour peu qu'une Parole les rassemble, en mesure d'illuminer « la poitrine du pays » d'un nouvel horizon,  avec le concours d'une nature enchantée, de leur courage à mains nues et de leurs consciences délivrées des faux remords. 

« La vie est dans le chant » dit Jean Métellus. Le sien célèbre la beauté sans cesse recommencée du monde, et témoigne de la dignité de ceux qui luttent, sans céder au fatalisme, malgré les trahisons de dirigeants trop vite enclins à céder au vertige de la cupidité et de l'autoritarisme  Si Haïti est une nation pathétique comme l'exprime très bien le titre du premier grand essai de l'écrivain, « de grandes choses pures » continuent de tourner au fond de son ciel lorsqu'il est « à jeun », avant le jour… Aussi, en dépit des obstacles et des épreuves qui l'accablent, le peuple haïtien continue-t-il de garder l'espoir tatoué sur son cœur et, par là même, de donner une magnifique leçon de vie.

« L'attachement viscéral » que Jean Métellus a pour Haïti, cette terre qu'il a quittée pour échapper aux bourreaux duvaliéristes alors qu'il était étudiant, ne saurait être dissocié de celui qu'il manifeste pour celui de l'humanité tout entière, car, s'il le fallait, il serait  en mesure d'expliquer  « le sort du monde actuel à partir du destin de son propre pays ».  Un pays qu'il a entrepris de « faire connaître sous son plus beau jour » en revendiquant « pour lui le droit de parler au nom de tous les peuples, de tous les déshérités qui réclament le pain, la paix, la liberté ».
 

     Puissante, fulgurante, torrentielle, brutale comme les éléments et les événements qui accablent trop souvent, sans crier gare, cette partie des Caraïbes, la plume de Jean Métellus sait se faire douce, paisible et sereine pour « semer sans se lasser » et « accueillir la pluie, amie des prairies, ennemie de l'incendie ».  Si la colère est légitime, il faut en user les mailles, en effacer les nids,  afin qu'elle ne se transforme pas en folie, « caprice du souvenir des négriers ».  Le chant du juste doit être juste, animé par l'esprit de justice et de justesse.

« Le déchirement de l'absence » a « réveillé » Jean Métellus, et le réveillant l'a révélé à lui-même mais aussi aux siens, les Haïtiens de l'intérieur et de la diaspora, aux autres également, tous les autres,  à commencer par les amoureux de la langue, des mots gonflés de sens et de symboles, d'imaginaire et de connaissance, de songes et de semence.
 
Jean Métellus est un artiste et un humaniste soucieux du style, qui écrit par nécessité, parce que « tout homme né sur la terre d'Haïti possède automatiquement le don de l'écriture », parce que telle est sa nature qu'il ne pourrait vivre sans épouser les attentes et les souffrances de son peuple, parce que du frottement des mots peut jaillir l'étincelle libératrice de la prise de conscience individuelle ou collective. C'est dire du même coup combien cette œuvre engagée sert la plus belle et la plus noble des causes, même lorsque, empruntant des chemins buissonniers, elle ne traite pas spécifiquement des « hommes de plein vent » et plante ses décors en Europe, par exemple à Paris, en racontant sous forme de fiction nourrie de faits, d'anecdotes, d'observations et de réflexions engrangés pendant sa formation de neurologue auprès d'un éminent spécialiste français,  la seconde vie d'un grand médecin, Charles-Honoré Bonnefoy, entamée à l'âge de la retraite, tout aussi féconde que la première, pour peu que l'on comprenne qu'à chaque étape de l'existence correspondent « de nouvelles lois, exigences et habitudes » qu'il convient de connaître pour continuer d'exercer ses talents.  


     Pour ce qui le concerne, Jean Métellus a mené de front une double vie : d'écrivain et de médecin. De médecin spécialiste en neurologie, docteur en linguistique, auteur de plus de deux cents articles publiés dans des revues scientifiques. Deux vies distinctes par les horaires, leurs contraintes particulières mais toutes deux reliées par le besoin urgent de donner la parole à ceux qui en sont privés suite à un dysfonctionnement cérébral ou en raison de l'ignorance dans laquelle les ont plongés et les entretiennent bonimenteurs et spéculateurs. « Un homme qui ne peut pas parler n'existe pas » dit le médecin ; un peuple dont la voix est bâillonnée non plus, clame l'écrivain. Redonner la parole à celui qui l'a perdue, prêter sa voix au peuple qui en est dépourvu, cela ne fait qu'un.

Grand rêveur, les sens, la conscience et l'intelligence à jamais fécondés par les visages, les rivages et les paysages de l'île natale, Jean Métellus est non seulement un éveilleur remarquable  de la mémoire de son peuple mais encore le jardinier de ses secrets, de ses songes et de ses « frissons insomniaques ». Grand attentif, il ausculte le cœur du monde, avec le souci constant d'en comprendre et d'en restituer les pulsations. Dire, savoir dire et pouvoir dire demeurent un luxe pour l'immense majorité des hommes. Aussi, quand la précision du langage scientifique s'allie à la puissance non moins souveraine du verbe poétique, l'angoisse se dilue et l'avenir s'éclaire.

Tonique, clairvoyante et généreuse, l'œuvre de Jean Métellus illumine les consciences. 
                                                                                               
                                                                                                      Juillan, le 21 janvier 2011

 

* Hommage à Jean Métellus, rédigé à l'occasion de l'attribution du Grand Prix de la Francophonie de l'Académie Française le 2 décembre 2010, et dans le prolongement de notre entretien au Palais des Congrès de Lourdes le 23 octobre 2010. GR
Pour en savoir davantage sur la vie et l'œuvre de Jean Métellus :
http://www.jeanmetellus.com/ 


La Dépêche du Midi. Soirée du 23 octobre 2010, à Lourdes:
Jean Métellus, poète.
http://www.google.com/url?sa=X&q=http://www.ladepeche.fr/article/2010/10/27/936273-Jean-Metellus-poete.html


Reprise illustrée de l'article dans "Texture" de Michel Baglin:http://revue-texture.fr/spip.php?article413


A lire également:
"Sous le regard de Rousseau et d'Anténor Firmin" de Jean Métellus (oct. 2013).
http://www.atelier-imaginaire.com/index.php?menu=94&page=7


Entretien de Jean Métellus, "Un Haïtien en poésie", reproduit dans la revue Décharge du mois de septembre 2008 (n° 139):
http://www.atelier-imaginaire.com/doc/doc_35.pdf



 


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